La porte de Magda Szabo

REVUE LITTÉRAIRE
Hélène Lapointe

Cette écrivaine, considérée comme une figure majeure des lettres hongroises, a été découverte dans le monde francophone en 2003 lors de la parution de la traduction française de Az Ajto, roman qui lui a alors valu le prix Femina. La version originale de la Porte date de 1987. L’auteure, qui est morte en 2007 à l’âge de 90 ans, a connu tous les bouleversements sociaux et politiques que son pays a traversés au cours du XXe siècle et a vu ses oeuvres mises à l’index sous le régime communiste. Il est heureux que ce roman ait été réédité cette année.

Cette œuvre, autobiographique, est unique à tous points de vue.  Elle met en scène deux femmes que rien ne prédestinait à devenir des amies. La narratrice est une écrivaine, plutôt jeune, mariée à un écrivain, une intellectuelle assez maladroite dans ses relations humaines. L’autre protagoniste est âgée, presque analphabète, mais volontaire, pour ne pas dire entêtée, et d’une générosité sans bornes. Le hasard de la vie les réunit lorsque Emerence, concierge dans un édifice voisin, entre au service de l’auteure et devient indispensable à son équilibre. Emerence sait tout faire et s’occupe de tout. Peu à peu des liens se tissent entre les deux femmes, mais leur relation n’en est pas moins houleuse pour autant. Emerence a son franc parler et ne supporte pas que l’on intervienne de quelque façon que ce soit dans sa vie privée. C’est pour cette raison que sa porte reste fermée à tous. Pourquoi? Qu’y a-t-il derrière cette porte?

Au fil des chapitres, consacrés à des thèmes, on découvre la richesse humaine de ce personnage, l’intelligence et la complexité de son âme, et les nombreux secrets de sa vie antérieure. Le roman est construit tel un puzzle où pièce après pièce se dévoilent le paysage de son existence et les multiples nuances de son être. Le récit fait parfois des allers-retours lorsque la narratrice confie ses impressions et ses sentiments avant et après certains incidents qui ont donné lieu à des conflits entre les deux femmes, de même qu’à la suite de confidences inattendues et bouleversantes faites par Emerence. Le style de Szabo est parfois déroutant, l’auteure fusionnant en une phrase toutes les informations relatives à un fait ou un événement, comme si elle craignait d’en omettre la moindre parcelle et d’être ainsi infidèle à la mémoire de son amie. Mais le lecteur prend vite le rythme et ne se laisse distraire que par le récit, émouvant et singulier.