Je vous conseille vivement le Guide des égarés, de Jean D’Ormesson, tout juste arrivé dans nos librairies. Ceux qui me connaissent savent combien j’aime Jean D’Ormesson. J’ai presque tout lu de son œuvre. Son style coule comme une rivière où l’on entend les mots filer dans le flot de ses pensées et pour peu que le lecteur cherche, il y trouve des pépites inoubliables.
Petite anecdote : un jour, alors que je venais de terminer Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit, prise d’un élan d’enthousiasme débridé, je décide de lui écrire pour lui dire mon admiration. Dans une sorte de naïveté effrontée, je lui raconte le bonheur que j’ai à chaque fois que je le lis et j’ose même lui parler de nos affinités. Imaginez : lui académicien, moi humble lectrice. Qui plus est, je pousse l’audace de joindre à ma missive une œuvre personnelle (texte et illustrations), sorte de conte poétique intitulé L’amour est aveugle.
Je n’attendais évidemment rien en retour puisque l’amour par définition est désintéressé.
Puis j’oublie cette bouteille jetée à la mer des courriers d’admirateurs chez Gallimard.
Un mois plus tard, surprise ! J’avais une réponse de Jean D’Ormesson. Sa lettre manuscrite, de la couleur de ses yeux, bleu mer, me remerciait de ma gentillesse, mais surtout de mon amour aveugle. L’allusion à mon album était très chic de sa part. C’est un gentleman.
Revenons au Guide des égarés : ce n’est pas un traité philosophique, comme le souligne d’ailleurs l’auteur, mais vingt-neuf chapitres succincts qui condensent les grandes questions de son œuvre. Sa lecture m’a donné l’impression que l’écrivain se tenait au-dessus de la planète et regardait le théâtre des hommes avec lucidité et tendresse afin de nous guider dans cette aventure parfois absurde qu’est la vie. Même si chaque thème est abordé rapidement, il ne les effleure pas, mais en extrait le suc. Et vu que l’on parle d’un être raffiné, je dirais qu’il nous offre le nectar de ses pensées.
Jean D’Ormesson est une sorte d’obsédé des vraies questions de l’existence. Le temps, qu’il appelle aussi un monstre : On se demande d’où il sort. Et il cite Boileau : Le moment où je parle est déjà loin de moi. La vie et sa disparition indéniable, le plaisir, une herbe folle, le bonheur, un lac très calme qui brille sous le soleil et la joie, une tempête qui tombe du ciel. Il nous parle de la pensée et puis du mal qui, dit-il, vont souvent de pair : À peine le mal apparaît-il, grâce aux hommes, sur la scène de ce monde qu’il y occupe une place démesurée, jusqu’à la monstruosité. À la suite de quoi, il cite Woody Allen : Si Dieu existe, j’espère qu’il a une bonne excuse. Et puis il traite de la liberté, de la vie : la vie de chaque vivant reproduit l’histoire de l’univers. Puis la lumière, l’art, la justice, l’air, l’eau et plus encore.
Jean D’Ormesson cherche le sens de tout, il veut connaître la vérité. La réponse à ses « pourquoi » se résume en un mot : mystère. L’univers est un mystère et notre vie est un mystère. Et il nous est interdit de percer ce mystère.
Cependant Jean d’Ormesson n’est pas un pessimiste. Il est profond et léger à la fois. Il termine son guide par deux thèmes qui dominent tout le reste et qui, souhaite-t-il, peuvent sauver l’homme de sa misère.
D’abord l’amour : Il rapproche les vivants. Il est plus fort que la mort. Puis, comme il est sensible à la beauté et à l’art, l’écrivain ajoute au sujet de l’amour : Il n’y a pas de poésie, il n’y a pas de littérature, il n’y a pas d’art sans amour.
Quant au dernier chapitre, Jean d’Ormesson cherche, malgré le constat d’impuissance qui nous afflige, pauvres humains, à donner un sens à cette vie absurde avec le thème de Dieu.
Ce dernier chapitre, comme il le dit, devrait être : Infiniment court parce qu’il est inutile de parler de lui s’il n’existe pas et impossible de parler de lui s’il existe. Puis il ajoute : Ne tournons pas autour du pot. Je crois à la transcendance que nous avons le droit et l’habitude d’appeler Dieu et qui donne enfin un sens à l’univers et à notre vie.
Ce n’est peut-être pas un traité philosophique mais le Guide des égarés est le moût d’une pensée lumineuse.