En cette torpeur estivale, je vous propose de savourer un « petit » film léger qui vous fera rire jaune ou aux éclats, pour peu que vous soyez sensibles à l’humour absurde. L’Enlèvement de Michel Houellebecq est un véritable ovni construit autour de la personnalité du célèbre écrivain. Produit pour la télévision, le film de Guillaume Nicloux était si réussi qu’il s’est mérité une diffusion mondiale en 2014. Il a aussi inauguré un enchaînement impressionnant de projets pour son réalisateur qui s’éclate maintenant visiblement dans des initiatives très « champ gauche ». Juste avant de filmer l’ogre Depardieu dans Valley Of Love et No End, il décidait alors de s’attaquer à un autre monstre : Michel Houellebecq.
Comme le titre du film l’indique, l’écrivain français actuel le plus lu et le plus traduit au monde y joue son propre rôle, dans une comédie caustique et malicieuse. Et ça, c’est déjà très drôle. Tout d’abord parce qu’Houellebecq est naturellement tout, sauf sympathique. Son talent littéraire est évidemment très admiré depuis 1994 et Extension du domaine de la lutte. Les critiques louent l’écriture « blanche » de celui qui dépeint sans relâche la banalité glauque des petites misères de ses contemporains. Les Particules élémentaires, Plateforme, La Possibilité d’une île, La Carte et le territoire (prix Goncourt 2010) ont tous fait figure de classiques instantanés; le récent Soumission a provoqué sur la place publique un débat comme il ne s’en fait plus. Pour contrebalancer tout ce succès, Houellebecq est jugé fielleux, psychorigide, misogyne, un peu infréquentable, et a réussi à se fâcher avec à peu près tout le monde de son milieu. Tout un personnage, que même ses admirateurs purs et durs ont parfois du mal à défendre.
Houellebecq a aussi un intérêt marqué pour le septième art. Il a lui-même mis en scène La Possibilité d’une île en 2008 dans une adaptation qui n’est pas passée à l’histoire. En 2014, il était la tête d’affiche de Near Death Experience des trublions Gustave Kervern et Benoît Delépine, ce qui lui a permis d’affûter son sens du comique décalé. Puis, il est parti faire des merveilles chez Guillaume Nicloux en incarnant… Michel Houellebecq ! Ceci n’est pas un documentaire, ni un biopic, mais plutôt un étrange objet hybride, totalement libre, qui se gausse avec insolence des attentes du spectateur. Un épisode imaginaire dans la vie de l’écrivain dont le quotidien banal est interrompu par un kidnapping inopiné. Trois loubards aux mines patibulaires le jettent dans une boîte et l’emmènent à la campagne, dans l’attente d’une hypothétique rançon. Les ravisseurs sont incompétents, et la victime est tout d’abord très ennuyée : pourra-t-elle fumer ? Puis, peu à peu, Michel prend ses aises. Le temps passe entre les leçons de krav-maga, les charmes d’une jeune beauté du coin, et les discussions à bâtons rompus.
L’argument de L’Enlèvement de Michel Houellebecq tiendrait facilement sur un timbre-poste, et pourtant, l’ensemble est d’une redoutable efficacité. Pour élaborer son scénario fantasque et grinçant, Nicloux se serait inspiré d’un épisode réel, où l’écrivain aurait volontairement « disparu » sans explication pendant quelques semaines. Il imagine ainsi des instants suspendus hors du temps, filmés en circuit fermé, à la temporalité dilatée. Parmi les scènes les plus marquantes de cette enfilade de malaises et de moments en creux, les dîners, souvent interminables et prétextes à des discussions en roue libre. Autour de la table, on parle même littérature ! Les plus petits détails (l’oreiller de Lovecraft était-il taché de sang ou non ?) font jaillir des étincelles. Confronté à des ravisseurs obtus et objectivement incultes, Houellebecq laisse libre cours à son snobisme, à son paternalisme et à sa pédanterie. Un rôle qu’il maîtrise bien sûr à merveille. Chez l’écrivain, le personnage médiatique prend souvent le dessus sur tout le reste : c’est sur cette ligne très mince que marche le film de Nicloux, en opacifiant constamment la frontière entre réalité et fiction. Mais ce qui fait pencher le tout dans l’imaginaire, c’est bien entendu l’humour. Ce qui passe mal dans la vie peut être un délice à l’écran. Et ce petit bijou prouve bien que vous avez tout à fait le droit de préférer Michel Houellebecq en personnage de cinéma !