Ce mois-ci, L’Écrit et l’écran se penche sur le 9e art pour souligner la sortie du film de Valérie Müller et Angelin Preljocaj, Polina, adaptation libre de la bande dessinée de Bastien Vivès du même titre (éditions Casterman). Un film qui se dédie à la célébration d’un autre art, le 5e cette fois : la danse ! Les films qui s’y consacrent ne sont pas légion et, à l’instar de l’Hollywoodien Black Swan de de Darren Aronofsky, ne donnent ni dans la subtilité, ni dans le réalisme. Avec Polina, nous sommes évidemment dans un tout autre univers, authentique et dépouillé, à l’image de l’œuvre graphique qui l’a inspiré.
Bastien Vivès est un jeune dessinateur français qui, après avoir connu une certaine célébrité sur le web, reçoit en 2009 le Prix de la Révélation du Festival d’Angoulême. Peu après est venu Polina, succès de librairie et grand prix de l’Association des critiques et des journalistes de bande dessinée à sa sortie en 2011. Bien des lauriers pour un coup de crayon graphique en noir et blanc, d’une grande sobriété, qui fait merveille pour incarner l’attitude butée de Polina, petite poupée russe soutenue à bout de bras par des parents pauvres mais aimants. Elle suivra rudement le parcourt de la parfaite danseuse classique, avec tout ce que cela implique de discipline de fer, d’humiliations quotidiennes et de corps en miettes, jusqu’à atteindre la mythique école du Bolchoï. Mais la Polina a du caractère, et son professeur le grand Bojinski trouve qu’elle manque de rigueur d’esprit et de souplesse d’échine. Lorsqu’elle rencontre un groupe de jeunes danseurs français en visite à Moscou, Polina se met à rêver de scènes contemporaines. Elle abandonnera sa route toute tracée pour le goût du risque, puis l’interprétation tout court pour mieux se réinventer dans l’improvisation et ses propres chorégraphies.
L’adaptation cinématographique d’un roman graphique tel que Polina serait-elle une évidence ? Après tout, la danse, l’art du mouvement, s’incarne mieux que jamais au grand écran. En plus de garder le prénom de l’héroïne, le film y accole un sous-titre en forme de programme : danser sa vie. Passons outre le caractère un peu emphatique de l’expression pour en retenir l’essentiel, car c’est effectivement ce que fera Polina. Après avoir sagement suivi toute son enfance les instructions de ses maîtres, elle prendra le contrôle de son corps et de son art pour l’incarner elle-même. De la « jolie danseuse » à la créatrice pleine de personnalité, voici un chemin qui tient à la fois du conte de fées et de la prise de position féministe. Ce qui le rend à la fois réaliste et digeste, c’est la manière, le style, et l’authenticité des démarches artistiques, celle du roman graphique d’abord, et celle du cinéma ensuite.
Dans le dessin de Bastien Vivès, aucune des fioritures auxquelles l’on pourrait s’attendre face à l’univers de la danse classique : plutôt des ombres dramatiques, des lignes tordues, de l’ascétisme expressif. Certaines cases, comme celle de la page couverture, seront reprises exactement par le film, qui est piloté par de vrais connaisseurs. Couple à la ville, Valérie Müller et Angelin Preljocaj sont pour la première fois ensemble derrière la caméra. Si la première est réalisatrice, le second est chorégraphe, et une figure phare de la danse contemporaine depuis les années 1980. On imagine sans peine qu’il a surtout signé les séquences dansées, qui sont nombreuses bien que totalement naturelles et intégrées au récit : répétitions et représentations (évidemment), mais aussi improvisations spontanées dans la rue, au bord de l’eau et en boîte de nuit, et sur toutes les musiques, classique, contemporaine, rock industriel, électro. Quant à la chorégraphie finale, la première création de Polina, elle est tout à fait envoûtante.
Selon Valérie Müller, la réalité de Polina est représentative de celle de nombreux danseurs, souvent issus de milieux modestes, qui voyagent à travers l’Europe avec comme seule matière première le travail leur propre corps. De Moscou à Anvers en passant par Aix-en-Provence, Polina ira ainsi son chemin pour danser mais aussi « voir le monde ». Un monde que nous découvrirons à travers les yeux immenses d’Anastasia Shevtsova, vraie danseuse mais aussi vraie actrice grâce à ce film au rythme parfois un peu tâtonnant, mais qui recèle de réels moments de beauté.