Cette chronique estivale examinera les rapports écrit/écran à travers une figure particulière, celle du scénariste, et non des moindres : Dalton Trumbo (1905-1976), deux Oscar et un nombre incalculable de classiques à sa feuille de route. Les plus grands noms des années 30 et 40 ont fait appel aux talents de celui qui était aussi un homme engagé, un communiste affirmé. Ses opinions politiques en ont fait une victime idéale de la « peur rouge » qui agita les États-Unis dans les années 50. Placé sur la fameuse liste noire de l’industrie cinématographique, il fut autant célébré qu’honni par Hollywood. En 2015, un film biographique de Jay Roach simplement intitulé Trumbo retraçait sa vie et la carrière.
Le tout débute en 1947. Parfaitement à son aise dans la jet-set de Beverly Hills, Trumbo est par ailleurs membre du parti communiste américain depuis plusieurs années. Il supporte les luttes des techniciens, le prolétariat d’un système dont lui-même incarne l’aristocratie : « Ce qu’un auteur écrit, un décorateur le construit ». Si sa réputation de grande gueule l’a déjà desservi, la guerre froide va tout changer. Chaque communiste devient aux yeux du public un espion de Moscou. Trumbo et ses collègues gauchistes, surnommés les « dix d’Hollywood », sont sommés de comparaître devant la Commission des activités antiaméricaines. Trumbo refuse de répondre aux questions sous la forme demandée. Sa nature, profondément consciente du pouvoir des mots, se rebelle : « Votre travail est de poser des questions et le mien est d’y répondre. Je répondrai par oui ou par non si cela me convient de répondre ainsi. Je répondrai en utilisant mes propres mots. Il y a beaucoup de questions auxquelles il ne peut être répondu par « oui » ou « non » que par un imbécile ou un esclave ».
Le scénariste est accusé d’outrage au tribunal et écope d’un an de prison, où il se retrouve vite responsable de la tenue de livres. À sa sortie, impossible de travailler, il est frappé d’anathème. La solution ? Passer dans l’ombre. Sous une myriade de faux noms, les scribouilleurs de la liste noire vont ainsi générer des séries B à la chaîne, ce qui engendre les moments les plus drôles du film (« Je suis un scénariste. Si je n’étais pas capable d’écrire de la merde, je mourrais de faim »). Ils signeront aussi sous le manteau de très grosses productions. Trois jours de labeur pour livrer un blockbuster clef en main, de véritables marathons arrosés de whisky, écrire, toujours écrire. Une armée silencieuse derrière toutes les images du grand écran. La belle vengeance !
Le film fait la part belle à la routine particulière et cocasse de Trumbo, qui travaillait dans son bain, le tout sans jamais lâcher sa cigarette. Gare à celui qui osait le déranger. C’est un voyage dans une époque pré-traitement de texte, avec des centaines de petits papiers découpés, collés et réarrangés, mots épars qui forment la trame d’Hollywood… et, toujours, le tac-tac-tac de la machine à écrire qui ne dort jamais. Trumbo sera réhabilité dans les années 60, et poursuivra son combat : en 1971, en plein conflit du Viêt Nam, il adapte ainsi son roman Johnny s’en va-t-en guerre, une charge antimilitariste virulente qui restera son unique film comme réalisateur.
Trumbo était aussi un être d’une classe infinie, un gentleman à l’ancienne qui collectionnait les saillies de l’esprit. Il a écrit cinq romans, une pièce de théâtre, un essai. Parmi ses films les plus célèbres, on compte Vacances romaines de William Wyler (pour lequel il reçoit un Oscar en cachette en 1953), Gun Crazy de Joseph H. Lewis, Spartacus de Stanley Kubrick, Exodus d’Otto Preminger, Papillon de Franklin J. Schaffner; des films noirs, des péplums, des drames intimistes ou à grand déploiement, des comédies romantiques. C’est Bryan Cranston, inoubliable Walter White de Breaking Bad, qui incarne le héros. Dans Trumbo, on croise aussi plusieurs piliers de l’époque mythique des studios : le chantre du pistolet John Wayne, la journaliste langue de vipère Hedda Hopper, le délateur Edward J. Robinson. L’esthétique, rétro et léchée, joue avec les images d’archive et le noir et blanc. C’est formellement très classique, un peu simpliste et manichéen, mais le film fait œuvre utile en nous invitant dans l’incroyable histoire de l’envers du décor – et en nous rappelant que la démocratie tient, bien souvent, à peu de choses.