Inhumaines de Philippe Claudel

REVUE LITTÉRAIRE
Hélène Lapointe

L’inhumanité à son paroxysme ou l’Homme déshumanisé, sans règles ni repères, sans foi ni loi. Vingt-cinq situations burlesques où un homme (le narrateur) adopte des comportements inqualifiables (dans tous les sens du terme), comportements partagés par tous ses congénères. L’Entreprise et la Banque sont les seuls piliers de cette société dans laquelle évoluent le héros et ses collègues de travail (Dubois, Brognard, Bonnet, Legros, etc.). Leurs femmes, elles, n’ont pour seule activité que le sexe, sous toutes ses formes. Dans ce roman noir, il y est d’ailleurs beaucoup question de sexe, mais aussi de meurtres, d’actes barbares, d’absence de sentiments, d’indifférence absolue en regard de tout et de tous. En voici un petit aperçu: un mari qui met sa femme en vente sur Internet; un homme qui tue sa mère à coups de statuette sans raison particulière; un fœtus congelé utilisé par inadvertance pour laver la voiture; une famille qui mange, sous divers apprêts, les morceaux de la grand-mère gardée au congélateur depuis sa mort; un père qui ne se rappelle plus ni du sexe ni du nom de son enfant…

L’écriture, tout aussi impersonnelle, monolithique, sans paragraphes ni ponctuation, sans subtilité si chère à la littérature, épouse l’esprit du roman. Seul le vocabulaire, d’une neutralité désarmante, engendre un soubresaut vital lorsqu’il se teinte de violence ou de sarcasme.

Manifestation exacerbée d’une désillusion, d’un désabusement face à la dérive de l’homme et de la société moderne. Récit d’une existence où règne le néant et où l’homme s’étant habitué subrepticement aux nouvelles conditions de vie aurait subi une mutation irréversible. Un mutant de l’homme dépouillé de sa conscience. La quatrième de couverture avertit le lecteur en ces termes : Nous sommes devenus des monstres. On pourrait s’en affliger. Mieux vaut en rire. Bien que cet exercice de style soit on ne peut plus réussi et qu’il nous fasse parfois réfléchir par ses excès caricaturaux (je dis bien, parfois, car le plus souvent trop c’est trop), je n’y vois aucunement matière à rire. Pathétique, le roman nous laisse plutôt un goût amer et on a peine à croire qu’il ait été imaginé par l’auteur des Âmes grises et de L’Arbre du pays Toraja.