The Happy Prince : le rôle de sa vie

L’ÉCRIT ET L'ÉCRAN
Zoé Protat

 

L’automne cinéma est en mode post-blockbuster : il est de bon augure de proposer au grand écran ce qui fera le bonheur de la saison des récompenses. À ce chapitre, Rupert Everett peut d’ores et déjà réserver son smoking pour un petit voyage dans cet Hollywood qu’il aime tant détester ! Son premier film comme scénariste et réalisateur, The Happy Prince, lui vaudra certainement la reconnaissance de ses pairs. Car en plus d’être estampillée « qualité britannique », cette œuvre en costumes cousue de stars est la biographie filmée d’un écrivain autant que d’une figure tragique, Oscar Wilde (1854-1900). 

Dramaturge, poète, et romancier fabuleusement mondain, mythifié autant pour ses maximes cruelles que pour ses redingotes en velours et ses chapeaux à plumes, Wilde fut en effet un martyr. Après avoir été le chantre de la Nouvelle Renaissance anglaise, avoir publié l’un des récits fantastiques les plus célèbres de tous les temps (Le Portrait de Dorian Gray, 1891) et avoir été la coqueluche du tout-Londres grâce à ses comédies pleines d’esprit, l’Irlandais esthète fut en effet accusé de « grave immoralité » – euphémisme pour homosexualité – et à deux ans de travaux forcés. À sa sortie de prison, ruiné, humilié et malade, il vivota de pathétique manière entre Paris et Naples et mourut dans la misère à l’âge de 40 ans seulement. 

Pour Rupert Everett, Oscar Wilde est plus qu’une évidence, c’est un but laborieusement accompli. L’acteur est un pur produit 100% British, un vrai rebelle issu d’une famille de militaires et d’aristocrates. Au début des années 80, il explose au théâtre dans la peau d’un collégien homosexuel avec Another Country de Julian Mitchell. Plus de dix ans plus tard, Hollywood lui offre le rôle du gay best friend de Julia Roberts dans le très sucré Le Mariage de mon meilleur ami (1997) : un exemple flagrant de typecasting dont il profitera certes, mais qu’il dénoncera également. Everett fait son coming out dès 1989, dans une époque pas si lointaine où cela était encore problématique. Les conséquences le pousseront à déconseiller aux jeunes interprètes homosexuels de se révéler au public. La maturité semble désormais avoir tempéré ce discours. 

La carrière de Rupert Everett affiche deux grandes constances : celle de la scène, et celle des récits historiques. C’est ici qu’Oscar Wilde entre en jeu. En 1999, l’acteur tient le rôle principal d’Un mari idéal d’Oliver Parker, adaptation libre de la pièce de 1895. En 2002, il remet le couvert avec L’Importance d’être Constant. En 2012, Everett incarne carrément Wilde lui-même sur les planches dans Judas Kiss de David Hare… The Happy Prince revêt donc un caractère extrêmement personnel pour celui qui semble avoir passé toute sa vie à préparer ce rôle. Le film, qui a pris une décennie à voir le jour, n’est pourtant pas la première biographie grand écran consacrée à l’écrivain : en 1960 sortaient simultanément l’obscur Oscar Wilde de Gregory Ratoff et le plus célébré The Trials of Oscar Wilde (1960) de Ken Hugues, tandis que 1997 nous offrait Wilde (1997) de Brian Gilbert, proposition quelque peu académique avec un Stephen Fry particulièrement touchant et un jeune Jude Law particulièrement odieux. 

La nouvelle Le Prince heureux fut publiée en 1888 dans un recueil de contes destinés aux enfants. Une superbe statue couverte de feuilles d’or, reliquat d’un aristocrate n’ayant jamais connu la peine ni la douleur, se dépouillait peu à peu de tous ses trésors pour soulager le malheur de son peuple. La métaphore est claire : selon Rupert Everett, Oscar Wilde nous a légué des bijoux littéraires étincelants avant de croupir honteusement dans l’indigence. The Happy Prince est centré sur les tout derniers moments de la vie de l’écrivain et évite le statisme propre au film d’époque empesé grâce à une caméra portée à la main, agile et virevoltante. D’ordinaire élancé et charismatique, Everett cède ici à la tentation du maquillage et des postiches pour incarner son personnage, une armoire à glace vieillissante et encombrante. Quant aux autres acteurs (Colin Firth, Emily Watson ou encore Tom Wilkinson, déjà interprète du marquis de Queensberry dans le Wilde de 1997 !), ils relèvent de l’évidence. Le résultat est classique, plein d’esprit et de désenchantement, à l’image du fameux aphorisme wildien « Je meurs comme j’ai vécu, largement au-dessus de mes moyens », parfaitement restitué dans ce film-somme.

The Happy Prince sera bientôt disponible en VOD.