UN SPECTACLE SANS FIN

VOYAGES ET AUTRES...
Suzanne Sterzi

Il faut de bons souliers car les pavés à fleur de rue feraient rêver les Parisiens en rage. En rage de quoi? Ils ne faut pas s’inquiéter, ils trouvent toujours un motif. Les Italiens, eux, laissent les pavés par terre et les pieds, en les foulant, ouvrent l’esprit vers des horizons d’une antiquité bouleversante.

Il y a les groupes qui obstruent le passage et qui exercent la patience: groupe d’élèves en sorties culturelles qui jacassent et ne voient rien, groupe de vieux à leurs derniers voyages qu’ils entreprennent à Rome car les antiquités les font se sentir jeunes, groupe de déficients dont le moniteur espèrent l’éveil alors qu’ils vivent déjà dans l’émerveillement.

J’ai marché trois heures, j’ai crié “andate à cagare” deux fois, dit “grazie molto gentile” 5 fois, donné trois coup de coude, laissé passé des gens avec le sourire dix fois. J’ai donné mon opinion sur le nucléaire à une télévision dans la rue; J’ai partagé une table avec une Brit et on s’est racontée la vie en une demie heure en buvant un vin exquis. Je me suis perdue souvent; j’ai retrouvé mon chemin et je me suis retrouvée à 20 ans dans les thermes de Caracalla, avec ma mère.

J’ai découvert Lorenzo Lotto; génie du seizième. J’ai inspiré de surprise en surprise et expiré de bonheur plus d’une fois. J’ai connu l’artichaut que j’avais entrevu mais il n’était qu’une copie. Et la ricotta. La vraie; elle m’a réconcilié avec la vie. Il y a des Romains grognons et antipathiques mais j’en ai croisés de bien polis et aimables; comme partout ailleurs mais voilà, partout ailleurs, il n’y a pas Rome…comme disait la chanson sur Paris.

J’ai vu la foire internationale des désespérés à Piazza Navone: des “Paki” qui lancent des boules gluantes qui s’écrasent sur le sol en une omelette fluo pour se reconstituer en tête de porc ou en tomate; des Chinoises qui vendent des objets de fils de fer entortillés parodiant des sculptures; des Nord-Africains, qui avec leur fusil, à défaut de tirer de vraies balles, nous bombardent de bulles; des faux artistes, et aussi des vrais, exposant leurs misérables spectacles. J’y ai vu des touristes, tant de touristes, hébétés, fourbus, qui n’ont pas compris le lien entre la barbarie et la civilisation. D’ailleurs y en a-t-il un? Le temps, peut-être, beaucoup de temps. Et derrière tout ça, Piazza Navone qu’il faut aller voir la nuit quand tout le monde lui fiche la paix et quand la lumière d’un réverbère souligne la beauté d’une palme de pierre, surplombant l’eau de la fontaine.

Je suis entrée dans milles églises dont je confonds les noms et les endroits; je mesurais la puissance de l’institution tout en admirant les trésors accumulés. Je l’avoue, j’y ai brûlé deux cierges au cas où un ange passe et entende mon souhait.

Que dire de plus; les pieds, meilleurs amis du touriste, la tête pour tout démêler et le coeur pour s’y jeter à pleine émotion; voilà tout ce qu’il faut pour s’ouvrir à tant de beautés dans la ville de Rome.