UNE HISTOIRE HALLUCINANTE

VOYAGES ET AUTRES...
Suzanne Sterzi

En cette fin 2016, qui sait pourquoi il m’est venu l’envie d’écouter ce qu’ils avaient à me dire. Je parle de tous ces petits personnages qui dorment depuis longtemps dans une boîte de chez Birks. Une argenterie oubliée leur a cédé la place. Désormais les figurants de la crèche habitent dans la boîte d’un magasin de luxe.

Attendez ! Ne partez pas tout de suite. Je ne vais pas vous parler de Joseph et de Marie. Un couple comme un autre. Ils étaient pauvres, ils ont formé une famille reconstituée comme il y en a tant aujourd’hui. Rien d’extraordinaire. Je n’ai rien contre eux. Ni pour. Non, je voudrais vous parler de la magie de Noël.

C’est quand même extraordinaire cette frénésie qui nous prend à chaque 25 décembre.

La course aux cadeaux, l’arbre choisi toujours plus gros et décoré pour que ça brille. Des lumières partout, dehors, dedans. Allonger la table : cette année on est 15. Surtout, ne pas parler de politique…ni de religion. Emballer les cadeaux en oubliant d’écrire à qui ils sont destinés. De toute façon, on s’en souviendra, c’est sûr : le cadeau avec du papier bleu à mon beau-frère, le ruban vert à ma sœur. Et puis zut ! À la fin, c’est le bordel. Ça ne fait rien pourvu qu’on soit tous ensemble et qu’on soit heureux. Temps de paix, mais pas toujours tant de paix. Les chicanes de famille. Puis il te vient une pensée : celui avec qui tu t’es brouillé depuis longtemps, ton ami, ton frère… Qu’est-ce qu’il est devenu ? La mélancolie se pointe au coin de l’œil, mais… Pas le temps. Trop de choses à faire. Cuisiner la dinde ou le saumon, couper le foie gras. C’est Noël ! Mais pourquoi ? Pourquoi cette folie s’empare-t-elle de tout le monde le 25 décembre ? C’est justement au moment où je me suis posé la question que mon regard s’est arrêté sur la boîte bleue. Elle était posée juste à côté du gros Père Noël mécanique qui joue une petite musique en se bougeant le derrière quand on actionne le bouton. Chaque année je l’empoigne et le mets sur le manteau de la cheminée (ça fait rire les enfants), et je laisse la crèche dans le noir d’une armoire.

Mais hier je me suis demandé : Sommes-nous tous les esclaves du gros barbu qui fait Ho! Ho! Ho! ? Celui qui ratisse les champs étoilés tiré par des rennes gonflés à l’hélium et qui bombarde de paquets les cheminées des enfants sages. Où y a-t-il quelque chose d’autre derrière ce 25 décembre ? Quelque chose de plus magique ? On peut faire croire aux enfants que ce joyeux donateur viendra par la cheminée leur porter des cadeaux s’ils ont été sages. Ils ne sont pas dupes les chers petits, ils savent qu’ils auront quand même des cadeaux même s’ils n’ont pas été gentils. Ils le savent déjà, ces chéris, qu’il faut faire rouler l’économie. Quant aux lutins cheap labor de la fabrique du Pôle Nord, ils sont insignifiants dans cette histoire.

Justement, en parlant de cheminée, je ne me souviens pas, lorsque j’étais enfant, et je vous parle des années cinquante, soixante, d’avoir laissé un biscuit au Père Noël en pensant qu’il irait s’enfoncer, comme un débile, dans la cheminée pour y rester coincé jusqu’à ce qu’une grue magique vienne le repêcher.

Nous recevions chacun un cadeau de papa et maman, et c’est tout. La magie était ailleurs. Où ? Moi qui ai laissé paître les moutons dans la ouate d’une boîte pendant des années, je les ai ressortis. Les santons, comme on dit en Provence, sont comme le yogourt, ils sont passés date chez nous. Mais une légende en vaut bien une autre.

Lorsque je sortais vers minuit avec mon papa et que nous marchions dans la neige jusqu’à l’église, nous allions au spectacle. La messe de minuit annonçait une naissance ! Et pas n’importe laquelle. J’y croyais à cette légende ! C’est ça ! la magie. Croire à quelque chose de féérique. Petite, j’avais bien vu la fée des étoiles dans un grand magasin mais rien ne pouvait battre l’évènement… l’avènement. Les anges dans nos campagne battaient tous les lutins du monde. Les jours précédents, maman avait installé la crèche au pied de l’arbre et tout le monde attendait le 25. Car c’est en revenant de la messe en pleine nuit qu’elle déposait le bébé de Marie. Cette histoire abracadabrante d’un nouveau né qui fait déplacer les puissants et les humbles pour lui rendre hommage était tellement inouïe qu’elle en était merveilleuse. Vous imaginez, aujourd’hui, le roi d’Arabie et ses cousins monter dans leur Ferrari, entreprendre un long voyage dans le désert pour offrir de l’or à un tit cul des quartiers pauvres de Détroit, de New Deli ou de Naples. La légende urbaine racontait qu’il allait sauver le monde. Non mais…vous y croyez, vous ? Qu’un jour, quelqu’un viendra nous sauver de la course des puissants les uns contre les autres en oubliant la vie sur terre.

Pourquoi avais-je oublié cette histoire hallucinante ?

Alors j’ai installé sur le rebord de la fenêtre les moutons et les bergers, les chameaux et les rois mages, le bœuf qui n’était pas encore aux hormones, l’âne, éternel oublié, Joseph et Marie. Je les ai mis sur de la ouate saupoudrée d’étoiles d’or. J’y déposerai le tit Jésus le matin du 25 car je ne vais plus à la messe de minuit.

Voilà une légende qui en vaut bien une autre : celle d’une étoile qui guide le monde vers la paix.